Santé mentale au Québec, 2011, XXXVI, 1, 217-242 - ➤➤ Format PDF
Suzane Renaud - Médecin psychiatre, Institut universitaire en santé mentale Douglas.
Les cliniciens sont parfois confrontés aux expériences dissociatives rapportées par leurs patients. Dans ce contexte clinique, la dissociation est un phénomène subjectif et transitoire, la plupart du temps inféré du témoignage des patients. Sa reconnaissance dans une situation ponctuelle peut se révéler incertaine même pour un clinicien aguerri (Franklin, 1990 ; Allen et Smith, 1993). De plus, le concept de dissociation est mal perçu par la communauté scientifique. Les sources historiques sont nombreuses pour expliquer cette réserve. L’Europe du XIXe siècle a découvert la dissociation de pair avec l’hypnose, présentée avec sensationnalisme et subjectivité par Charcot qui exhibait des femmes hystériques en transe. Au XXe siècle, l’Amérique du Nord a goûté aux extravagances des représentations cinématographiques d’Hollywood du trouble de personnalités multiples, un sujet de mystère psychologique par excellence. Plus récemment, des détracteurs convaincus accusent les cliniciens qui s’y intéressent de croire à une sottise (Piper et Merckey, 2004). Les psychiatres nord-américains qui se penchent sur la question se doivent donc de démontrer scepticisme et rigueur, s’ils ne veulent pas tomber dans la subjectivité et le sensationnalisme (Pope et al., 1999 ; Lalonde et al., 2001).
Pourtant, le manuel américain de diagnostics et statistiques des pathologies psychiatriques (DSM, APA, 2000) reconnaît l’existence des troubles dissociatifs qui font l’objet d’une catégorie distincte (l’amnésie ou la fugue dissociative, le trouble d’identité dissociative (TID), le trouble de dépersonnalisation et le trouble dissociatif non spécifié). De plus, les symptômes dissociatifs s’observent dans plusieurs troubles psychiatriques dont le trouble de stress post-traumatique (TSPT), le trouble somatoforme et le trouble de personnalité limite (TPL) (Sar et al., 2004). Ils sont également décrits dans les troubles alimentaires, les troubles psychotiques, les troubles affectifs et d’autres types de troubles anxieux. Ils sont enfin reliés à l’alexithymie, les idées suicidaires ou les expériences sexuelles traumatisantes. Les abus de drogue ou de médication, les traumatismes crâniens et l’épilepsie du lobe temporal sont des critères physiologiques ou médicaux excluant.
Le présent article s’intéresse surtout au phénomène de la dissociation dans le trouble de personnalité limite (TPL). Rappelons que le TPL a acquis son critère 9 en 1994 lors d’une révision du DSM. Dans le DSM-IV – TR, il se formule ainsi: «idéation paranoïde transitoire et reliée à un stress ou symptômes de dissociation sévères » (APA, 2000 ; Lanius et al., 2002 ; Ross, 2007 ; Sierra et Berrios, 1998).
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Article original rédigé par Alexandre Lebreton et publié sur MK-Polis
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